Interview
23 juin 2022
Interview Arthur Fournier, CEO Prélude Conseil
Salut Arthur, tu peux te présenter en quelques mots pour nos lecteurs ?
Oui bien-sûr.
Arthur Fournier, CEO de Prélude Conseil.
Je dirais avoir toujours été différencié dans ma communication.
Je me rappelle plus jeune, au collège, j’avais déjà ces éléments de différenciation qui ne passaient pas toujours bien. Ce qui m’a valu des facilités, mais aussi beaucoup de difficultés dans mon parcours personnel.
J’ai toujours aimé mettre en place des choses disruptives, au travers de projets pour me différencier des autres.
Issu d’une scolarité privée, souvent vue comme élitiste, j’ai côtoyé aussi des profils d’élèves perturbés pas toujours tendres. D’autant plus que j’avais, je dois le reconnaître, une forme de “fragilité” dans mon répondant quant à l’agressivité. Ça m’a valu plusieurs avertissements de professeurs qui disaient que je “grandissais trop vite” par rapport aux autres.
J’en ai tiré certains enseignements comme le fait d’observer en permanence mon environnement. Ça corrèle totalement avec ce que je fais chez Prélude, observer avant d’agir. Analyser son environnement, son système, les clients qu’on accompagne. Aujourd’hui où on est dans une société d’immédiateté, le travail d’analyse préalable tend à être évincé. J’ai à cœur de faire les choses durablement sur la base d’éléments résolument réfléchis.
J’ai aussi cette culture du besoin, bien qu’on travaille dans une industrie (retail) basée sur la consommation. Je pense qu’il faut recentrer les comportements individuels et collectifs des organisations vers quelque chose de plus raisonné, de plus raisonnable.
Ça n’a rien d’anodin aujourd’hui ! On baigne dedans depuis petits, mais ça sous-tend d’avoir une vraie réflexion et un vrai travail de fond pour impulser une démarche.
C’est aussi en ce sens que j’aime travailler chez Prélude Conseil, avec des gens qui partagent ces valeurs et m’aident à les faire vivre au quotidien.
Tu as évoqué Prélude Conseil, ça consiste en quoi ?
En juin 2021, à l’issue de collaborations diverses et plurielles avec Eudes (directeur Marketing) et Baptiste (directeur Artistique), j’ai eu l’idée de passer d’une modalité peu structurée vers un modèle de société avec tout ce que ça implique. À la fois la dimension de projet entrepreneurial structuré, mais aussi quelque chose de mieux cadré au bénéfice de nos clients.
De cette agrégation, nous avons conçu un modèle qui a bien évolué. Avec une offre qui a pris un certain temps, il est vrai, en raison de la recherche et développement que ça sous-tend. Se positionner sur le marché du middle market qu’on méconnaissait en partie, qu’on a appris à connaître au contact de nos clients et des marchands rencontrés n’était pas chose aisée.
En ce sens, Prélude Conseil se veut faire partie des nouveaux acteurs émergents de l’accompagnement des retailers voire e-retailers d’aujourd’hui.
C’est quoi ta journée type de CEO ?
Ma journée type ? Il n’y en a pas.
C’est surtout une rigueur organisationnelle importante pour concilier chaque engagement. Mes casquettes se veulent plurielles avec les différents services.
Pour autant, il y a tout de même des créneaux dédiés. Une demi-journée pour de la prospection et des entretiens commerciaux par exemple.
Mais l’agenda fluctue de manière générale en fonction des besoins des collaborateurs, selon les projets en cours que l’on mène.
Quelle est ta vision de l’entreprenariat aujourd’hui ?
Il y a de ça pas longtemps, j’ai vu un post LinkedIn d’un jeune dans un incubateur Lillois. Il était parti dans un projet en lien avec sa formation d’ingénieur et il abandonnait parce qu’il n’avait pas trouvé de financement pour son projet. Projet qui tenait la route au regard de l’explication qu’il en donnait.
Ce que je constate, c’est que le milieu de l’entrepreneuriat est à la fois exaltant mais aussi terriblement dangereux pour les personnes qui souhaitent porter des projets.
Exaltant, puisque créer, c’est toujours mieux que simplement participer à un projet, même si je ne dénigre pas cela. C’est plus valorisant à la fois humainement et en termes de compétences lorsque l’on en est initiateur grâce à la pluralité des tâches qu’on est amené à réaliser.
Là, je parlais uniquement de l’aspect financier, qui peut être limitant dans le cadre d’une ambition de développement, de création sur des marchés innovants. En ce sens, il peut y avoir une vraie différence entre les attentes des consommateurs, de la société, des porteurs de projets, l’objet de la démarche entrepreneuriale. L’enjeu est ne pas s’inscrire dans un principe de mimétisme au risque de tomber dans le leurre de reproduire des impacts environnementaux et sociétaux défavorables. Mais la prise de risque par le caractère innovant d’un projet entrepreneurial n’est pas toujours récompensée, ne se traduit pas toujours en succès. Et nombreux sont ceux souffrant de cette difficulté à trouver des financements bien que leur projet soit rigoureusement ficelé. L’innovation n’est pas toujours rentable sous quelques mois…
Après, j’y vois un côté spéculatif de certains acteurs, qui se proposent d’être accompagnateurs, émulateurs de talent et qui en réalité n’ont aucune philanthropie. En ce sens, ils viennent polluer plus que participer à la positivité en termes d’impacts du milieu entrepreneurial.
C’est un secteur très difficile à la fois à comprendre, et pour y évoluer au jour le jour, avec des personnalités très différentes, les finalités, les objectifs, les motivations sous-jacentes sont protéiformes. En ce sens, il n’y a pas un tissu social comme on pourrait trouver dans une association par exemple.
Il y a aussi un enjeu de concurrence, après quand on est amené à intégrer cette sphère je pense qu’il faut s’attendre à devoir se servir de ses armes pour pouvoir y rester.
Qu’est ce qui t’a donné envie de te lancer là dedans ?
Ce qui motive un projet entrepreneurial aujourd’hui, je le crois sincèrement, au-delà de la réflexion sensible sur des aspects RSE qu’on n’avait pas antérieurement à prendre en considération pour créer une entreprise ; c’est de se rendre acteur.
L’idée était de renouer avec des valeurs humanistes et de se faire ambassadeur de sa propre carrière professionnelle. J’entends par là de ne pas la subir par le modèle prédominant du salariat, de prendre les choses en main, s’investir porteur d’un projet qui nous dépasse quelque part.
Il nous dépasse d’abord par le fait que cela soit une aventure collective, ce n’est pas chapeauter sa carrière individuelle, c’est chapeauter les carrières plurielles de collaborateurs. D’apprendre, ou de réapprendre à penser collectif. Ça je pense que c’est une bonne part de l’essence du projet préludien que nous avons collectivement a à cœur d’entretenir tous les jours.
Tu as parlé du retail, que dirais-tu du e-commerce actuel ?
Le commerce n’a jamais autant été dynamique aujourd’hui. La référence littéraire Au Bonheur des Dames (Zola)* prend un tout autre chemin aujourd’hui par la digitalisation.
Pour autant, les disparités sont prégnantes dans cette digitalisation. Pour être uniquement focus sur le commerce, la difficulté est de devoir mettre un coup d’accélérateur sur des lacunes préexistantes à la crise Covid. Cette crise n’a fait qu’accentuer les écarts de connaissances et de techniques, mais aussi de sensibilité à ces enjeux numériques auquels les entreprises sont exposés.
Aujourd’hui, il n’est plus question de débattre de la nécessité du numérique. Le numérique est partout et les entreprises ont bien conscience du besoin, des attentes de leurs propres consommateurs. Pour autant, les personnes ayant besoin d’un accompagnement de qualité sont nombreuses et les prestataires le savent bien. De fait, quantité de prestataires émergent, atomisés dans leur coin, sans être en capacité de prodiguer un accompagnement raisonné et unifié.
Ça, c’est la photographie que je dresserai du commerce actuel sous le prisme de nos métiers.
Justement, le e-commerce de demain ça donne quoi pour toi ?
Pour moi, le commerce de demain se doit de radicalement changer ses habitudes.
J’entends par là que le numérique est la nouvelle bombe environnementale dormante. On a une méconnaissance absolue de l’impact écologique de ces technologies, du secteur numérique en lui-même.
Ça ne passe pas uniquement par les fameux minerais pour la partie hardware, donc matériel, même si c’est une part conséquente. C’est aussi tout ce qui est serveur, plus particulièrement si on parle de commerce, les entrepôts liés à la logistique, la préparation, le stockage… Quantité de bâtiments sortent de terre chaque année et viennent bétonner les terrains aux dimensions assez fantastiques.
[Saut de retour à la ligne]Cette méconnaissance, elle commence à être intégrée par des professionnels, des Directeurs des Systèmes et d’Information (DSI). Pour autant, on n’a pas d’outil très concrètement aujourd’hui pour pouvoir évaluer l’impact et travailler à le traiter en amont dans les entreprises.
L’idée, c’est simplement de dire, comment on fait pour ne pas faire la même chose qu’avec le diesel par exemple. Il y a quelques dizaines d’années, on a pris un virage diesel alors qu’on savait très bien que ça n’était pas soutenable !
Aujourd’hui, on sait que ça n’est pas soutenable, pour autant il n’y a pas de politiques publiques ou de collectifs porteurs dans notre secteur qui s’emparent de cette problématique en recherchant activement des solutions à mettre en place.
Ça, c’est problématique, ça sous-tend d’avoir cette culture du besoin, de ne pas foncer tête baissée. Un progiciel aujourd’hui doit amener à résoudre un besoin clairement défini et pour lequel il se trouve adapté.
On peut parler aussi du problème des plateformes, Shopify tend à résoudre ce problème. Celui des plateformes de manière générale, c’est de proposer des services globalement identiques sous forme de licence. Pour autant, les fonctionnalités proposées ne sont pas toujours adaptées à un réel besoin. C’est le principe de scalabilité. Et ça, on doit le mettre en avant, d’autant plus en ayant connaissance de cette bombe environnementale. Corréler une solution à un besoin, c’est apprendre à faire du vrai sûr-mesure.
Quel futur idéal tu vois pour Prélude ?
Dans un futur idéal, ça donne, une entreprise résolument humaine, une identité humaniste donc. À la fois accompagnant les marchands, mais aussi ses propres talents dans leurs aspirations de projet de vie, de montée en compétence. Une possibilité de concilier ces enjeux humains, de plus en plus prégnants qui s’inscrivent parfois dans une certaine crise identitaire. Je pense qu’on peut parler en ces termes.
Une part croissante des actifs, notamment des jeunes, porteurs de notre marché numérique, qui s’insèrent dans cette filière ont des difficultés à mettre en perspective leur engagement. Sur des métiers à haute valeur ajoutée technique certes, mais à impact écologique et sociétal difficilement mesurable aujourd’hui.
Sur le volet client, je vois une Entreprise de Servcies Numériques (ESN) porteuse de valeurs et d’engagements concrets, au service de l’environnement et de la société. Cela sous-tend de la R&D avec une traduction concrète de ces valeurs. Il faut qu’elle soit porteuse et j’entends par là, de proposer un réel plan d’action, délimité, au bénéfice des marchands. Et ceci pour leur permettre de concilier leur activité économique, qui n’est pas philanthrope jusqu’à preuve du contraire, avec les attentes de nouveaux consommateurs. On parle souvent aujourd’hui de changement de paradigme des consommateurs dans leur individualité, leur être propre.
Répondre à leurs exigences, mais également les éduquer. Le mot est fort, mais je crois sincèrement qu’il est de la responsabilité des mêmes personnes qui ont amené à développer l’hégémonie du consumérisme de travailler à raisonner les consommateurs qu’ils ont éduqués, voire endoctrinés au plus jeune âge.
Pourquoi ils feraient ça ?
Ça peut paraître utopiste, mais je ne le crois pas. Pour la simple et bonne raison que les ressources ne sont pas illimitées. L’économie circulaire, les nouvelles habitudes de consommation poussent vers un changement du modèle consumériste. En ce sens, Prélude souhaite participer à ce changement de fond sur ces enjeux précis.
As tu un modèle qui t’as inspiré ?
Sans hésiter, Didier Fache.
Il a agi comme un mentor, un révélateur et un accélérateur sur quantité de compétences qui sommeillaient et qui se seraient indéniablement développées, mais moins rapidement. Il m’a permis d’éviter de nombreux égarements que j’aurais connus et qu’il a connu par son parcours, son expérience et son humanisme.
Malgré le fait qu’il soit un sales, il est raisonné. Raisonné de ne pas sacrifier sa personnalité, ses valeurs pour un produit, un progiciel, un service ou une entreprise. C’est tellement fort chez lui qu’il a créé 3 sociétés, ce qui montre bien cette volonté d’émancipation, d’indépendance sur ce qu’on peut appeler des rigidités liées au salariat.
Aujourd’hui, nous gagnons en agilité au bénéfice de la structure grâce à lui.
Dernière question, si tu avais trois livres / films / séries à recommander ce serait quoi ?
Alors un livre, j’en ai un de Marc Dugain, c’est un roman d’anticipation qui s’appelle Transparence. C’est sur le transhumanisme, sorti il y a quelques années, donc un livre qui n’est pas tout jeune quand même. Mais déjà porté sur des thématiques très actuelles. L’ouvrage parle d’une jeune femme en Irlande qui part en randonnée et qui rencontre une femme qui va se jeter dans une cascade. Derrière, elle retrouve cette jeune femme vivante, avec toute une histoire sur le fait que cette femme aurait été greffée après sa mort sur une enveloppe corporelle nouvelle ceci expliquerant qu’elle soit encore vivante. La chute du roman m’avait perturbé sur l’éthique autour du transhumanisme, mais je ne l’ai plus. C’est pas plus mal, je ne spoil pas la fin.
Pour le film Le chant du loup, ça j’aurais moins de mal. Le sens de l’engagement tout entier, sans restriction. Le film parle tout seul, ça raconte l’histoire d’un ‘’oreille d’or’’ (Marin spécialiste des sonars) qui embarque dans un sous-marin nucléaire lanceur d’engin (SNLE). Lors d’un exercice, un engin nucléaire vient d’être tiré sur la France depuis la Russie. Donc réponse immédiate du président qui fait lancer un tir nucléaire depuis le sous-marin. Sauf que l’ordre est irrévocable et … je vous laisse pour la suite le découvrir. Grosso modo ce qui est intéressant, c’est quelque chose de méconnu dans l’identité de l’armée. C’est cette solidarité entre les hommes de corps.
Le dernier, je dirais Le 1 Hebdo, un journal qui fait réfléchir sans être sélectif. Ce n’est pas un auteur qui vient développer sa pensée sur une centaine de pages. On est sur du condensé, mais de l’expertise, avec des universitaires, des intellectuels, invités pour confronter des points de vue très souvent divergents, c’est ce qui est recherché. De sorte à avoir un apport de réflexion pour le lecteur. C’est un des seuls journaux indépendant aujourd’hui proposant un tel cadre de réflexion.
* Au Bonheur des dames est un livre écrit par Émile Zola qui décrit l’arrivée des commerces de grande distribution à Paris. Il y décrit un bousculement de la consommation à travers Octave Mouret, archétype de l’ambitieux qui souhaite surpasser les petits artisans parisiens (fabricants textiles, cuir etc…).
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